Officiellement, Driss Chraïbi est né en 1926 à Mazagan- actuellement El Jadida. Il est le fils d’une famille bourgeoise. Son père Haj Fatmi était un commerçant de thé. Sa mère, H. Zwiten, est aussi issue d’une famille de notables et de gens de lettres. En fait, c’est à son ascendance maternelle que Driss attribue sa vocation d’écrivain :
Ma sensibilité intense, c’est quelque chose qui a été déposée en moi par la famille de ma mère, les Zwitten, une famille extrêmement lettrée[1].
Driss Chraïbi fait partie d’une famille nombreuse. Il a six frères et une sœur. Mais il est le seul d’entre eux qui a réussi à poursuivre ses études. Il a commencé par fréquenter l'école coranique avant d’intégrer l'institut privé Guessous à Rabat à l’âge de six ans. Ensuite il s’est inscrit au lycée Lyautey de Casablanca où il a fait ses études secondaires.
L’école française a donné à Driss la possibilité de côtoyer l’Autre et de faire l’apprentissage de la civilisation occidentale. Cette rencontre lui a permis de développer un sens critique. Il s’est mis à comparer son entourage avec celui de ses amis français. Ainsi, il a commencé à reconsidérer ses idées reçues et à mettre en cause l’ordre établi. Il est devenu de plus en plus sensible à la condition de sa mère qui subissait le joug du patriarche :
La femme dans les livres, dans l’autre monde, celui des Européens, était chantée, admirée, sublimée. Je rentrais chez moi et j’avais sous les yeux et dans ma sensibilité une autre femme, ma mère, qui pleurait jour et nuit tant mon père lui faisait la vie dure [2]
Le jeune lycéen sera nourri d’idéal humaniste et de sensibilité romantique. Il découvrira les textes de Lamartine, d’Hugo, de Musset…[3] La différence entre ce qu’il vit et ce qu’il lit ne faisait qu’attiser sa révolte contre l’immobilisme de la société qui se barricadait derrière la tradition et la religion. Imprégné par les idées modernistes, Chraïbi concevait le colonialisme comme une conséquence inéluctable de l’archaïsme où vivaient les pays du Tiers-monde.
Driss Chraïbi trouvera dans la fiction une sorte d’échappatoire. Dans ses mémoires, l’auteur nous raconte son engouement pour le cinéma et pour les romans d’aventure. Son imaginaire était peuplé par les figures des femmes sensuelles et celles des héros intrépides. Il était aussi passionné par les séries policières :
Au coin de la rue, dans une échoppe, je me procurais rame par rame les aventures de Fantômas, les tout premiers livres policiers de la collection « Le Masque »[4]
En effet, les séries policières avaient prospéré entre les deux guerres mondiales. Vu leur prix, leur facilité du style en plus du sensationnalisme qu’elles procurent, ils étaient les livres les plus accessibles pour les jeunes marocains qui fréquentaient l’école française. Parmi ses lectures Driss Chraïbi cite les romans de Paul Féval, Pierre Souvestre, Conan Doyle, Léo Malet, S.S Van Dine et Maurice Leblanc.
En fait, l’auteur avait même commencé à écrire dès l’âge de 14 ans. Des propos recueillis par H. Kadra-Hadjadji montrent que parmi ses écrits de jeunesse figurent : "des poèmes très romantiques, des petits romans policiers, des récits d’aventures, des romans de cape et d’épée." [5].
Ainsi nous pouvons dire que l’intérêt de Chraïbi pour le genre policier date de ses écrits de jeunesse. En effet, dans un entretien radiophonique en 1998 à l’occasion de la publication d’une nouvelle enquête de l’inspecteur Ali, l’auteur déclare :
Je ne sais pas si vous allez me croire, mais bien avant Le Passé simple, je rêvais d’écrire des polars mais à ma manière. Et il a fallu que j’attende plus de quinze ou seize livres plus tard pour que je donne cours à ma passion [6]
En prenant au sérieux les déclarations de l’auteur, nous pouvons dire que le désir de se donner à la littérature policière habitait l’auteur depuis le début de sa carrière d'écrivain. Toutefois, ne pouvait pas s'adonner à un genre jugé mineur au moment ou on assignaient à l'écrivain le rôle d'un porte parole. Faut-il aussi ajouter à cela l'expérience de l'exil qui avait profondément marqué l'œuvre de l'écrivain.
Malali Hicham
[1] Driss Chraïbi in Abdeslam Kadiri, Une vie sans concession, entretiens avec Driss Chraïbi, Rabat : Ed. Tarik, 2008, p. 49.
[2] Abdelatif Laâbi, « Driss Chraïbi et nous.» entretien in Souffles, n° 5, premier trimestre 1967, p. 5.
[3] Idem.
[4] Driss Chraïbi, Vu, lu, entendu, Paris : Denoël, 1998, p. 41.
[5]Houaria Kadra-Hadjadji, Contestation et révolte dans l’œuvre de Driss Chraïbi, Paris : Publisud, 1986,p. 18. (C’est nous qui soulignons).
[6] Emission La Langue française vue d’ailleurs du 16/02/1998. Archive consulté le 30/05/2010 sur le site www.medi1.ma