Le roman policier a été longtemps monopolisé par les auteurs français, britanniques ou américains. Cependant, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, des auteurs du monde entier se sont initiés au genre. Si le roman à énigme a été la célébration de l’esprit positiviste et de l’homme occidental, le roman noir avec son éthique du désenchantement permettra à des auteurs engagés d’exprimer les revendications d’ordre social et politique.
C’est ainsi qu’on assistera à un élargissement géographique du roman policier dans d’autres pays donnant ainsi naissance au polar ethnique. Cette notion tire d’une part sa légitimité des variations qu’a connues le genre dans sa rencontre avec d’autres espaces d’ancrage. Si Sherlock Holmes a été devenu l’icône de l’âme anglaise, les auteurs des polars ethniques vont essayer de mettre en scène un personnage qui incarne une nationalité ou même une minorité. L’ouverture du polar sur la société offre une occasion pour la peinture exotique d’autres contrées. Ainsi, en plus de l’intrigue policière le lecteur est invité à découvrir les substrats des sociétés où se passe l’action.
L’émergence du genre policier dans l’espace maghrébin sera d’abord perçue dans la littérature algérienne. En 1970, la Société Nationale d'Edition et de Diffusion (S.N.E.D.) avait publié quatre romans d'espionnage de Youcef Khader : Délivrez la Fidayia!, Halte au plan terreur, Pas de Phantoms pour Tel-Aviv et La Vengeance passe par Ghaza. Deux autres volumes de la série vont suivre en 1972 : Les Bourreaux meurent aussi... et Quand les "Panthères" attaquent en plus d’un roman d’Abdelaziz Lamrani en 1973 intitulé D contre-attaque.
La publication de ces romans a représenté un événement très important : La parution de ces romans sur le marché algérien constitue, pour l'époque, un événement éditorial marquant puisque dès la mise en circulation de Délivrez la Fidayia!, premier titre de la série, la S.N.E.D. réduit, puis cesse totalement ses importations et distributions d'œuvres étrangères à caractère policier.
Les romans de Youcef Khader ont été tirés en un grand nombre d'exemplaires. Ils ont été traduits en arabe et vendus au Maroc et en Tunisie. L’intérêt qu’ils ont suscité montre la portée idéologique que représente la publication des premiers romans d'espionnage non seulement pour l’Algérie mais pour l’ensemble des pays maghrébins. En fait, dans un climat habité par le conflit israélo-arabe, les romans d’espionnage publiés entre 1970 et 1972 véhiculaient ouvertement une idéologie antisioniste :
Les “Israéliens” s’inspirent des méthodes des immigrants américains dont les lois avaient été tout entières contenues dans le barillet de leurs colts. C’est par le meurtre qu’eux aussi prétendaient défendre le bien qu’ils s’étaient approprié[1]
La Palestine et la lutte contre les services secrets israéliens étaient les principales thématiques de ces romans, d’ailleurs tous les titres y référaient explicitement. Ainsi, ces romans répondaient à une perspective politique dictée par les idéaux qui conjuguent nationalisme et panarabisme. La dimension idéologique et politique du roman d’espionnage faisait de lui un outil de propagande aux services des idées nationalistes. C’est ainsi qu’il a trouvé dans les pays du Maghreb nouvellement affranchis du colonialisme un terrain propice pour se développer.
Toutefois, Youcef Khader est le pseudonyme de Roger Vilatimo auteur français d'origine catalane. Il a été détenu en Espagne lors de la guerre civile. Après sa libération en 1945, il s’est engagé dans la lutte contre le colonialisme. Il travaillera ensuite comme nègre littéraire avant de rédiger ses propres souvenirs sous forme de romans d'espionnage sous divers pseudonymes (Jean Lafay, Tim Oger, Roger Vlim, Gil Darcy, G.J. Arnaud...). L’identité anecdotique de Youcef Khader pose plusieurs questions sur l’intérêt de cet auteur pour la cause palestinienne et son engagement dans le conflit israélo-arabe qui imprègne ses romans. En fait, même si l’engagement politique de l’auteur contre le colonialisme peut être à la source d’une telle prise de position, nous ne pouvons pas éloigner la possibilité que les œuvres de Youssef Khader fussent commanditées par le pouvoir algérien.
Malali Hicham
[1] Youcef Khader, Halt ! au plan Terreur, Alger : SNED, 1970, p. 101.
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